De mémoire de Tournaisiens, nous avons rarement connu une telle pagaille. Tout a commencé, un peu timidement, le vendredi 1er avril ! En raison de la date, on aurait pu imaginer un poisson mais, hélas, il a fallu vite se rendre à l'évidence, les camionneurs avaient pris les automobilistes en otage. Le poisson aller cacher de fameuses arêtes.
Loin de moi de contester le bien-fondé de la motivation de ceux qui travaillent pour amener tous les produits dont nous avons besoin quotidiennement. Dans un société ultra-libérale, au sein d'une Europe totalement incapable de parvenir à une harmonisation entre les pays, dans un amalgame d'états aux mentalités bien différentes, au sein de ce puzzle dirigé par un parlement européen dépassé qui laisse s'installer toutes les conditions du dumping social (en autorisant, notamment, certains ouvriers, ceux des pays de l'Est, à prester pour un coût nettement différent de ceux de l'Europe de l'Ouest), dans cette Europe qui ne sera jamais construite, il faudra, de plus en plus, s'attendre à des réactions violentes de la part de catégories de citoyens se sentant de plus en plus lésés, spoliés.
On le sait, c'est la mise en application de la taxe kilométrique qui a déclenché ce mouvement de colère d'un secteur qui n'a, malheureusement, pas toujours bonne presse auprès de la population. Désormais, tous les camions qui emprunteront les autoroutes belges et certaines nationales paieront une taxe en fonction de la puissance du moteur et surtout de la pollution émise (en rapport avec l'ancienneté des véhicules). En compensation, on supprime la vignette de 1.500 euros par camion et les transporteurs peuvent déduire une partie des montants payés à la déclaration de l'impôt des sociétés ! Tous les transporteurs étrangers (80% du trafic sur nos autoroutes) seront soumis à la même perception. La recette de cette taxe imaginée par les trois régions du pays devraitêtre utilisée à améliorer un réseau routier digne d'un pays en voie de "sous-développement" ! Si c'est comme pour la redevance télé, on risque de se faire des illusions !
Pour contrôler le kilométrage parcouru, les transporteurs doivent s'équiper, moyennant paiement, d'une installation électronique appelée "OBU". Celui qui a trouvé ce nom composé d'initiales du système a été bien inspiré car l'obu(s) vient de nous sauter à la figure ! Des camionneurs disent que ce système n'est pas au point, qu'il enregistre des taxes même à l'arrêt dans les files, que le compteur tourne sur certains itinéraires qui ne donnent pas lieu à la perception de la taxe kilométrique, qu'ils le décompte des kilomètres est parois surestimé... Nous ne pouvons que les croire sur parole !
Des kilomètres de file !
En Wallonie picarde, depuis dimanche soir, le mouvement s'est amplifié, les autoroutes sont totalement bloquées pour les camions et les automobilistes sont obligés de se faufiler dans les barrages. La E19 qui mène à Courtrai et à Bruges, la E42 ou autoroute de Wallonie vers Liège, la E429, Lille-Tournai-Bruxelles sont entièrement paralysées. Des barrages ont même été installés à Lamain, à Froyennes, à Kain et aux entrées et sorties d'autoroutes venant ou menant au bassin carrier à Gaurain. A la Glanerie, sur la route Douai-Tournai, des camionneurs ont aussi installé un barrage filtrant.
Jamais, on n'a vu un tel ruban de camions multicolores arrêtés sur deux files depuis le poste frontière de Lamain jusque bien au-delà de la sortie Kain (Tournai Expo), soit sur plus de dix kilomètres. Dans les files, on parle français, néerlandais, roumain, polonais, espagnol, anglais... C'est le symbole d'une communauté européenne à l'arrêt en raison de l'incompétence des dirigeants de chaque pays et, surtout, en conséquence de leur manque d'imagination pour trouver l'argent qui leur fait, hélas, toujours défaut suite à une mauvaise gestion ou à de mauvaises anticipations ! Après tout, nous avons les politiciens que nous méritons !
Depuis ce lundi, un barrage filtrant a été installé à Ramegnies-Chin sur l'ancienne chaussée de Courtrai provoquant des files de véhicules s'étendant, parfois, jusqu'à proximité de l'arsenal des Pompiers à l'avenue de Maire.
Des camions étrangers tournent en rond.
Dès ce lundi après-midi et durant toute la nuit, la chaussée de Lille, normalement interdite aux camions de plus de 7,5 tonne a vu défiler des centaines et des centaines de camions. Un riverain m'a déclaré, ce matin, que, durant la nuit, le flot était presque ininterrompu. On croise également de nombreux camions sur la ceinture des boulevards de la cité, à l'avenue de Maire ou à la chaussée de Bruxelles.
Ce midi, la presse annonce que les camions sont désormais interdits de circuler sur la chaussée de Bruxelles, en direction de la ville, au-delà du rond-point "Ma campagne". De même, sur la chaussée de Renaix, ils sont stoppés à hauteur du rond-point de "Tournai-Expo". Toutefois, pas d'informations en ce qui concerne ceux qui viennent par la chaussée de Lille (nationale 7) où le barrage qui bloquait l'accès à la zone industrielle d'Orcq est désormais installé.
La zone commerciale de Froyennes accueillent les camions bloqués en attente de pouvoir circuler, la file des véhicules stationnés débute sur le quai Donat Casterman !
Ces routes ne sont pas prévues pour absorber un tel charroi et risquent de se dégrader rapidement. Quand la grève sera terminée, les pauvres automobilistes n'auront plus qu'à pester, une fois de plus, contre ceux qui dégradent le revêtement routier. Eternel combat entre le confort des uns et l'emploi des autres !
J'ai souri lorsque j'ai rencontré, à plusieurs reprises, aux quatre coins de la ville, un camion dont la raison sociale était "Société Danfer", j'ai pensé qu'il était perdu, qu'il tournait en rond et qu'au téléphone, il devait appeler sa base en disant : "Ici, à Tournai, patron, c'est vraiment l'enfer !". Par contre, je n'ai pas souri lorsque j'ai vu un énorme camion s'aventurer sur la Grand-Place probablement guidé par un GPS déboussolé !
Et maintenant ?
Le temps qui passe n'arrange pas les choses, le capital sympathie qu'avaient engrangé les camionneurs en colère commence à s'éroder, des mouvements en sens divers apparaissent. Des questions sont posées par l'ensemble des automobilistes pris en otage : cette stratégie d'attendre le jour de mise en application de la taxe n'est-elle pas totalement idiote ? Au lieu de réclamer la suppression pure et simple de la taxe ne devait-on pas négocier des améliorations techniques de l'OBU et des montants perçus ? Ne souhaite-t-on pas, tout simplement, par une action spectaculaire comme celle qui est en cours faire passer le message à la population que, dès la fin de la grève, le coût du transport sera plus cher car il intègrera la taxe. Agiter le spectre de la faillite, c'est mentir à tout le monde car, in fine, la taxe, c'est tout le monde qui la paiera dans un avenir proche lors de ses achats.
Il ne nous restera plus alors, tous ensemble, qu'à aller bloquer dans leurs bureaux, pendant des jours, les élus nationaux et fédéraux atteints de cette rage taxatoire qu'on ne peut éradiquer, depuis plusieurs années déjà !
La photo représente un transport de jadis sans taxe kilométrique, tout au plus fallait-il compter le prix de l'avoine.
S.T. avril 2016.